Le rôle du notaire dans la vente par adjudication de titres sociaux non cotés
Cet article a pour objet de rappeler la procédure propre à la vente par adjudication des titres sociaux de sociétés non cotées, à défaut de vente amiable. En particulier, il précise le rôle du notaire dans la vente aux enchères (1) et le déroulement de celle-ci, mais aussi les difficultés qu'elle présente. La vente aux enchères est souvent subie dans l'urgence et la coercition, de sorte qu'il est très difficile d'intervenir dans ce genre d'opérations avec toute la sécurité requise en la matière.
En effet, le notaire est compétent pour procéder à l’adjudication judiciaire (2) ou volontaire (3) d'actions de sociétés non-cotées(4) et de parts sociales de sociétés civiles ou commerciales(5).
I- les étapes préalables à la vente par adjudication des titres sociaux
Il y a lieu de distinguer suivant qu'il s'agit d'une vente forcée ou non.
La vente forcée des droits d’associés a lieu à défaut de vente amiable (de gré à gré), à l’expiration du délai d’un mois à compter de la notification de la dénonciation de la saisie adressée au débiteur lui même(6) et majoré, éventuellement, de 15 jours(7).
Son régime est défini aux articles R.233-5 à R.233-9 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE).
Lorsqu'il s'agit d'une vente volontaire, nous verrons qu'il y a lieu d'établir un cahier des charges dans les mêmes conditions que dans le cadre d'une vente forcée. Mais la procédure qui sera exposée ci-dessous à l'égard du ou des créancier(s) saisissant(s), n'est pas applicable à la vente volontaire.
1. établissement du cahier des charges
Un cahier des charges doit être établi en vue de la vente et contient les mentions prévues à l’article R.233-6, à savoir :
- rappel de la procédure antérieure ;
- statuts de la société et conventions y compris extra-statuaires instituant ou créant un droit de préférence ou d’agrément au profit des associés ;
- tout document nécessaire à l’appréciation de la consistance et de la valeur des droits mis en vente (ex : comptes annuels, rapport d’expertise amiable sur la valeur des droits cédés pouvant servir à motiver la mise à prix etc.) ;
- la mise à prix(8).
Faute de rappel dans le cahier des charges des conventions instituant un agrément ou créant un droit de préférence au profit des associés, leurs stipulations seront inopposables à l’adjudicataire.
Le cahier des charges peut être établi par le poursuivant. Ce dernier peut toutefois se faire assister par un professionnel du droit. Lorsqu'un notaire est saisi pour procéder à la vente aux enchères de titres sociaux non cotés, il est préférable que le cahier des charges soit reçu par acte authentique par le notaire qui procèdera à l’adjudication.
En effet, en instrumentant, le notaire doit vérifier, lorsque le cahier des charges a été rédigé par une autre personne, que celui-ci contient bien toutes les informations requises. Bien que n'étant pas rédacteur du cahier des charges, le notaire sera tenu pour responsable de tout manquement qui aura pu induire en erreur un potentiel adjudicataire, et lui causer un préjudice ou une perte de chance.
Aucun délai n’encadre l’établissement du cahier des charges, mais il est préconisé de le rédiger rapidement pour ne pas s’exposer à une mainlevée de la saisie par le juge à la requête du débiteur.
2. notification du cahier des charges
Une copie du cahier des charges doit être notifiée(9) à la société dont les titres sont saisis et à ses associés. Si d’après l’article R.233-7 CPCE, c’est à la société qu’il revient d’informer les associés, l'article 1868 C. civ. en dispose différemment pour les sociétés civiles. En effet il résulte de cet article que la réalisation forcée doit être notifiée personnellement, non seulement à la société, mais aussi aux associés. C’est la raison pour laquelle nous préconisons, pour gagner du temps et dans un souci de sécurité, de notifier en même temps le cahier des charges à la société et aux associés. La forme de cette notification n’est pas prévue par le législateur. Elle pourra intervenir par voie simple, mais dans un souci probatoire il convient de l’effectuer par lettre recommandée avec AR, voire par acte extrajudiciaire.
Le même jour, une sommation(10) est notifiée aux éventuels autres créanciers opposants d’avoir à prendre connaissance du cahier des charges chez la personne chargée de la vente.
Tout intéressé peut formuler auprès de la personne chargée de la vente des observations sur le contenu du cahier des charges.
Elles ne seront plus recevables 2 mois après la notification du cahier des charges à la société(11).
Enfin, en ce qui concerne les associés d’une société civile, s'ils entendent se prévaloir des dispositions du 2e alinéa de l’article 1868 du Code civil(12), ils doivent en informer la personne chargée de la vente.
Le cahier des charges établi, il convient d’organiser la publicité de la vente.
3. Publicité de la vente forcée
La personne en charge de la vente doit procéder à la publicité de la vente aux enchères. Cette dernière doit contenir les informations suivantes :
- la date ;
- le lieu de la vente ;
- la nature des biens saisis.
Elle doit être effectuée par voie de presse et, si nécessaire, par voie d’affiche.
Elle doit intervenir au moins quinze jours avant la date fixée pour la vente, et elle ne peut intervenir plus d’un mois avant celle-ci.
Le débiteur, la société et éventuellement les autres créanciers opposants sont informés de la date de la vente par voie de notification(13).
Il doit être procédé à la vente.
II- la vente par adjudication des droits sociaux
Cette étape concerne à la fois les ventes aux enchères volontaires et les ventes aux enchères forcées, sous réserve des hypothèses qui visent spécifiquement les ventes forcées.
1. Lieu de la vente
D’après l’article R.221-33 CPCE, la vente forcée doit se dérouler :
- soit au lieu où se trouvent les objets saisis ;
- soit en une salle des ventes ;
- soit en tout autre lieu ouvert dont la situation géographique est la plus appropriée pour solliciter la concurrence à moindre frais.
Toutefois l’article 90 du règlement de la chambre interdépartementale des notaires de Paris dispose que les adjudications autres que d’immeubles et parts ou actions de sociétés d’attribution auront lieu :
- soit en l’étude du notaire intéressé ;
- soit dans une salle de mairie ;
- soit pour les fonds de commerce et les parts ou actions de sociétés commerciales, dans une salle du Tribunal de commerce.
Il n’est donc pas possible en matière de vente de droits d’associés d’y procéder dans la « salle des Adjudications » en l’Hôtel de la Compagnie de Paris, sauf dérogation expresse du Président de Chambre.
2. Déroulement de la vente
La vente est faite par le notaire.
Le rôle du notaire n’est pas limité à la réception des enchères, mais il a l’organisation de la vente elle-même et la direction des opérations.
L’adjudication est faite au plus offrant, après trois criées(14).
Le prix est payable comptant. Faute de paiement par l’adjudicataire, l’objet est revendu immédiatement sur réitération des enchères.
Toutefois une jurisprudence ancienne(15) admet que l’officier public ayant procédé à la vente peut accorder un délai, sous sa responsabilité.
3. La remise du prix
En cas de concours entre les créanciers (saisissants ou opposants qui se sont manifestés avant la vente), le notaire propose une répartition amiable entre eux. A défaut d’accord amiable, il doit consigner les fonds auprès de la Caisse des Dépôts et des Consignations et saisir le juge de l’exécution à l’effet de procéder à la répartition du prix(16).
D’après l’article 14, 2° du décret n°45-0117 du 19 décembre 1945, la non consignation des fonds par le notaire l’exposera à des sanctions disciplinaires.
Si le prix d'adjudication est supérieur au montant de la créance ou de l'ensemble des créances des créanciers saisissants, la différence doit être versée au débiteur.
4. Rédaction du procès verbal
Le procès-verbal d’adjudication sera dressé par le notaire en charge de la vente. Cet acte contient(17):
- le jour ;
- le lieu de la vente ;
- nom et qualité du requérant ;
- mention de la présence ou de l’absence du requérant ;
- faits et procédure ayant conduit à la vente forcée ;
- l’énonciation des formalités de publicité effectuées
- conditions de l’adjudication ;
- la désignation des biens vendus ;
- le montant de l’adjudication ;
- l’énonciation déclarée des nom et prénoms des adjudicataires(18);
- les objets spécifiés sur les catalogues et autres documents de publicité ou exposés comme devant être mis en vente et retirés de la vente. Le motif de retrait doit être succinctement indiqué ;
- les objets mis en vente sont mentionnés sur le procès-verbal au fur et à mesure de la mise en vente, avec indication du nom et du domicile déclarés par l'acheteur(19).
- si l'objet est retiré après avoir été mis aux enchères, le retrait est mentionné ainsi que le chiffre de la dernière enchère portée avant le retrait(20).
L'omission des mentions prescrites par le présent article ou la rédaction du procès-verbal postérieurement à la vente entraînera une sanction disciplinaire(21).
Le procès-verbal est dressé sous forme d’acte notarié.
Le procès-verbal doit être signé par le notaire, le requérant et l’adjudicataire.
Il convient de préciser que les procédures légales et conventionnelles d’agrément, de préemption ou de substitution sont mises en œuvre conformément aux dispositions propres à chacune d’elles (22). Par voie de conséquence, dans ces hypothèses, il sera nécessaire de stipuler dans le procès-verbal d’adjudication une condition suspensive relative à l’éventuel agrément, préemption ou faculté de substitution.
III- Les difficultés liées à la procédure de vente forcée des droits d'associés
Contrairement à la vente aux enchères volontaire, la principale difficulté liée à la vente forcée, tient au fait que dans la plupart des opérations de saisie-vente des droits d'associés, en particulier des parts de sociétés civiles immobilières (SCI), il est compliqué voire impossible d'établir l'historique de la société dont les titres sont saisis et de pouvoir disposer des informations précises sur leurs actifs. Dans le cas d'une SCI, il est rare que les bilans et comptes de résultat soient établis. De sorte qu'il est difficile de pouvoir déterminer la valeur réelle des titres saisis.
Il est indispensable de procéder, avant toute adjudication, à une expertise préalable de la valeur des titres saisis. A cette fin, on comprend ainsi la nécessité de disposer des documents nécessaires à l'information des potentiels adjudicataires, pour déterminer la valeur des titres saisis avec ou sans décote de minorité, suivant la proportion des titres saisis.
A défaut, le prix d'adjudication sera décoté de façon plus ou moins importante, suivant l'intérêt de la société cible pour les adjudicataires potentiels et seulement un nombre limité d'adjudicataires potentiels porteront des enchères (23).
En outre, du fait de l'absence de garantie d'actif et/ou de passif, les ventes par adjudication forcée d'actions ou de parts sociales ne s'adressent qu'à un public assez restreint. Ainsi, il est assez difficile de trouver des acquéreurs, lorsque la saisie ne porte que sur une partie des actions ou parts sociales de la société saisie.
En effet, les éventuelles clauses d'agrément ou de pactes de préférence au profit des autres associés de la société, constituent des obstacles pour offrir les enchères à des personnes non associées (les cessions entre associés ou actionnaires sont en principe libres de tout agrément). Ce qui peut faire subir aux titres adjugés, une forte décote de leur valeur.
IV- le tarif
Le notaire, doit remettre au vendeur (débiteur) et à l’acheteur (adjudicataire) le compte détaillé des sommes qui lui reviennent ou dont il est redevable. Ce compte fait ressortir distinctement :
- le prix de l’adjudication ;
- les émoluments ;
- les déboursés ;
- les droits de toute nature payés au Trésor, respectivement mis à la charge des vendeurs et des acheteurs en application du CGI.
Les arrêtés du 26 février et du 28 octobre 2016 (24) portant fixation du tarif des notaires distinguent selon que l’adjudication est volontaire ou judiciaire :
• Pour les adjudications volontaires faites par un notaire de tous biens et droits incorporels (25) : prix d'adjudication x 1,628 % + 1787,62 € (si la base est supérieure à 60.000 €)(26).
• Pour les adjudications judiciaires faites par un notaire de tous biens et droits notamment incorporels, le tarif distingue selon que le cahier a été établi ou non par le notaire(27) :
o Lorsque le cahier des charges est rédigé par le notaire : prix d'adjudication x 1,526 % + 1675,78 € (si la base est supérieure à 60.000 €)(28);
o Lorsque le cahier des charges est rédigé par l’avocat : prix d'adjudication x 0,814 % + 893,81 € (si la base est supérieure à 60.000 €)(29).
Il convient de préciser que lorsque le montant de l’adjudication ne dépasse pas 30 €, le notaire n’a droit qu’au remboursement de ses déboursés.
L’émolument est calculé séparément sur le prix d’adjudication de chaque lot, même si plusieurs lots distincts sont adjugés séparément au même adjudicataire. Toutefois il sera calculé sur le prix des lots réunis si l’adjudication a lieu après la réunion totale ou partielle des lots mis en vente.
Exemple : si le prix d’adjudication est de 110.000 €, les émoluments notariés seront de :
- en cas de vente volontaire : 2.601,62 € HT ;
- en cas de vente judiciaire :
. soit 2.438,78 € HT si le cahier des charges est rédigé par le notaire ;
. soit 1.300,81 € HT si le cahier des charges est rédigé par l’avocat.
Le notaire est néanmoins fondé (30), à réclamer un honoraire à titre de prestation détachable de celle entrant dans le champ de l'émolument, pour la mise en place du cahier des charges et de la vente aux enchères, à défaut d’adjudication ou si le travail de rédaction du cahier des charges et d'organisation de la vente aux enchères a demandé un travail conséquent par rapport à l'émolument à recevoir.
Bruno BEDARIDE
Notaire associé
(1) Les ventes aux enchères publiques ou par adjudication, sont des "ventes faisant intervenir un tiers, agissant comme mandataire du propriétaire ou de son représentant, pour proposer et adjuger un bien au mieux-disant des enchérisseurs à l'issue d'un procédé de mise en concurrence ouvert au public et transparent"(Article L320-2 alinéa 1er du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n°2011-850 du 20 juillet 2011).
(2) Ce sont des " ventes de meubles corporels ou incorporels aux enchères publiques prescrites par la loi ou par décision de justice, ainsi que les prisées correspondantes" (Article 29 de la loi n°2000-642 du 10 juillet 2000).
(3) Ce sont des ventes que "les propriétaires des biens - ou leur représentant - requièrent de leur propre volonté sans y être astreints par une disposition législative, réglementaire ou judiciaire"(X. Bariani, G. Bricard et C. Laporte, actualisé par N. Casal, J.-Cl. procédures Formulaire, V° Ventes publiques mobilières, Fasc.10 : ventes publiques mobilières, 2018, spéc. n°11).
(4) La compétence du notaire, pour la vente par adjudication publique, volontaire ou forcée, des titres financiers des sociétés non-cotées, est partagée avec les prestataires de services d'investissement, aux termes des dispositions de l'article L. 211-21 CMF.
(5) Le notaire a une compétence partagée, pour la vente par adjudication judiciaire des parts sociales de sociétés, avec les commissaires-priseurs judiciaires, les autres officiers publics ou ministériels et les autres personnes légalement habilitées (Application combinée des dispositions de l'article 29, alinéa 2 de la loi du 10 juillet 2000 précitée et de l'ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat).
(6)La dénonciation de la saisie prévue à l’article R.232-6 CPCE a lieu dans les 8 jours de l’acte de saisie.
(7)Article R.221-31 alinéa 2 CPCE ; il résulte de cet article que les créanciers saisissants et opposants disposent d’un délai de 15 jours à compter de la notification faite à eux par l’huissier des propositions d’acquisitions au débiteur dans le cadre d’une vente amiable préalable (L.221-3 CPCE).
(8)Faute de précision dans le décret on se réfère au droit commun de la mise à prix dans les adjudications forcées, JCI Voies d’exécution, fasc. 610, pt. 86.
(9)Faute de précision contraire, les notifications semblent pouvoir être faites par LR-AR.
(10)Cf. note n°6.
(11)Article R.233-7 alinéa 3 CPCE.
(12)Décider la dissolution de la société ou l'acquisition des parts saisies.
(13)Article R.233-8 alinéa 3 CPCE.
(14)Article R.221-38 CPCE.
(15)Cass. civ., 19 juin 1872 : DP 1872, 1, p. 305 – Cass. civ., 19 mai 1886 : DP 1886, 1, p.412.
(16)Article L221-6 CPCE.
(17)Article R.221-39 CPCE.
(18)Il n’appartient donc pas au rédacteur du procès verbal de vérifier l’identité de l’adjudicataire.
(19)Article R.444-47 alinéa 2 du Code de commerce ; V. JCI Notarial formulaire, V° adjudication mobilière pt. 111.
(20)Article R.444-47 alinéa 2 du Code de commerce précité.
(21)Article R.444-47 alinéa 3 du Code de commerce.
(22)Article R.233-9 CPCE.
(23) Bien qu'il n'existe pas de jurisprudence sur la responsabilité d'un notaire en cas de prix d'adjudication des titres saisis insuffisant, il n'est pas exclu que le débiteur puisse éventuellement reprocher au notaire de ne pas avoir vendu ses actions ou parts sociales au meilleur prix, faute de publicité suffisante ou d'informations suffisantes sur la consistance des actifs et passifs de la société.
(24)Arrêté du 26 février 2016 (JORF n°0050 du 28 février 2016) fixant les tarifs réglementés des notaires et arrêté du 28 octobre 2016 (JORF n°0258 du 5 novembre 2016 relatif aux tarifs réglementés des notaires.
(25) Article A444-102-1 du Code de commerce
(26)Tarif : Valeur de 0 à 6.500 € : 7,890 % ; de 6.500 à 17.000 € : 3,254 % + 512,85 € ; de 17.000 à 60.000 € : 2,170 % + 341,67 € ; à partir de 60.000 € : 1,628 % + 933,1 €.
(27)Article A444-102 du Code de commerce.
(28)Tarif : Valeur de 0 à 6.500 € : 7,397 % ; de 6.500 à 17.000 € : 3,051 % + 480,805 € ; de 17.000 € à 60.000 € : 2,034 % + 320,355 € ; à partir de 60.000 € : 1,526 % + 874,62 €
(29)Tarif : Valeur de 0 à 6.500 € : 3,945 % ; de 6.500 à 17.000 € : 1,627 % + 256, 425 € ; de 17.000 à 60.000 € : 1,085 % + 170,835 € ; à partir de 60.000 € : 0,814 % + 466,55 €.