Le devoir réciproque d'information des parties à un contrat consacré dans le Code civil depuis 2016
La réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations du 10 février 2016 a introduit le nouvel article 1112-1 dans le Code civil, qui s’applique aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016. Ce dernier est venu consacrer une « obligation précontractuelle d’information autonome de droit commun » incombant au cocontractant, dont le contenu doit être précisé.
Le principe historique : emptor debet esse curiosus
Faute de disposition du Code civil en la matière, le droit français était régi historiquement par l’adage latin « emptor debet esse curiosus » signifiant que l’acheteur doit être curieux. Ainsi, nul n’était tenu de renseigner son co-contractant, la règle étant le devoir de s’informer soi-même.
La création jurisprudentielle d’une obligation d’information des parties
Au cours du XXe siècle, le législateur est intervenu ponctuellement pour consacrer dans la conclusion de certains contrats, un devoir d’information des parties, sans jamais le généraliser. Le Code de la consommation en est sans doute la meilleure illustration. Mais c’est la jurisprudence qui a imposé aux cocontractants cette obligation d’information réciproque en se fondant notamment sur le devoir de loyauté. En effet, la volonté des juges était de veiller au respect de la liberté contractuelle et à l’équilibre de la relation des partenaires.
La jurisprudence a, par ailleurs, posé que ce devoir d’information doit peser aussi bien à l’égard d’un cocontractant professionnel (Cass. Com., 14 novembre 1977, pourvoi n°75-15.185) que d’un profane (Cass. Civ. 3ème, 21 juillet 1993, pourvoi n°91-20.639).
Caractéristiques de cette obligation
La jurisprudence a posé trois caractéristiques propres à cette obligation :
- obligation générale de renseignement consistant en une information objective susceptible d’intéresser tout cocontractant, indépendamment de ses besoins et de l’utilisation escomptée de la chose objet du contrat ;
- devoir de conseil consistant dans l’adéquation de la chose objet du contrat à son utilisation prévisionnelle ;
- devoir de mise en garde consistant à présenter à l’autre partie, les risques éventuels de la chose objet du contrat (Cass. Civ. 1ère, 12 juillet 2005 n°03-10.921).
Conditions de mise en œuvre
La mise en œuvre de cette obligation précontractuelle a été définie par la jurisprudence et obéit à deux conditions.
En premier lieu, l’information que détient un cocontractant doit avoir pour effet de conduire à modifier le comportement de son partenaire, s’il en avait eu connaissance, c’est-à-dire qu’il aurait renoncé à conclure le contrat ou aurait poursuivi la relation contractuelle mais à des conditions différentes. A ce sujet, il était donc nécessaire de rapporter la preuve que le cocontractant connaissait l’importance de l’information qu’il détenait pour le consentement de son partenaire.
En second lieu, le créancier de l’information doit l’avoir légitimement ignorée. Cette ignorance légitime est caractérisée par sa difficulté d’accessibilité pour celui-ci, qui du même coup, fait peser sur l’autre partie un devoir d’information (Cass. Com. 17 juillet 2001, n°97-17.259).
Charge de la preuve et sanctions
La Cour de Cassation fait peser sur le débiteur de l’information la charge de la preuve de sa bonne exécution (Cass. Civ. 1ère, 25 février 1997, n°94-19.685).
La charge de la preuve est renversée compte tenu de la difficulté pour le créancier de l’information de prouver un tel manquement. En effet, une telle preuve étant négative, elle est presque impossible à rapporter.
La haute juridiction sanctionne le manquement à l’obligation d’information de deux façons. La première sanction a pour fondement la responsabilité civile délictuelle (Cass. Civ. 1ère, 3 juin 2010, n° 09-13.591). La faute du cocontractant engage sa responsabilité dès lors qu’elle est en lien direct avec le préjudice causé à l’autre partie.
La seconde sanction repose sur la nullité du contrat pour vices de consentement. Ainsi, l’annulation du contrat trouve son fondement dans l’erreur sur une qualité substantielle de la prestation et dans le dol, au sens de l’ancien article 1110 du Code civil.
Consécration de cette obligation dans le Code civil
La réforme du 10 février 2016 a remédié au silence du Code civil en instituant une obligation d’information de droit commun dont le contenu puise sa source dans la jurisprudence antérieure qui continuera de s’appliquer et viendra préciser son contour.
Un principe d’ordre public et précontractuel
Le législateur l’a institué dans l’article 1112-1 du Code civil et lui a conféré un caractère d’ordre public. Il a été inséré au Chapitre 2 relatif à la formation du contrat, sous-section première réservée aux négociations. Cela a pour conséquence que l’information doit être transmise avant la conclusion du contrat dans une phase précontractuelle.
Consécration des principes jurisprudentiels dans la loi
Le texte définit le contenu et le caractère de cette obligation, la charge de la preuve de l’information donnée et la sanction en cas de manquement.
Ainsi l’article fixe le principe d’une information réciproque des parties.
Le débiteur de l’information doit transmettre tout renseignement déterminant pour le consentement du partenaire. De son côté, le créancier de l’information doit l’ignorer légitimement ou faire suffisamment confiance à son cocontractant pour se dispenser de se renseigner lui-même.
Le législateur a jugé utile de rappeler que ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation en consacrant ainsi le principe selon lequel il n’y a pas d’erreur sur la valeur dans un contrat. Il appartient à celui qui achète ou qui vend un bien de s’informer sur sa valeur. Toutefois, le nouvel article 1168 du Code civil prévoit que dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, sauf dérogation légale. Autrement dit, le défaut d’équivalence de la prestation correspond à la lésion de l’ancien article 1118 du Code civil abrogé par la réforme, qui n’est admise strictement que dans les cas prévus par la loi. Ainsi, ont été retenues par le législateur, la lésion de sept douzièmes en matière de vente d’immeuble (articles 1674 à 1685 du Code civil) et de lésion de plus du quart en matière de partage (articles 889 à 892 du Code civil). Dans ces deux cas, le vendeur ou le copartageant devront verser un complément de prix à l’acquéreur ou de parts dans les biens de la succession aux autres copartageants.
L’alinéa 3 de l’article précise qu’ « ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ». La jurisprudence viendra alors certainement clarifier ce qu’elle entend par « lien direct et nécessaire », ainsi que le contenu des informations déterminantes au consentement d’une partie à un contrat.
Les principes jurisprudentiels en matière de charge de la preuve et de sanction du manquement au devoir d’information ont été codifiés.
La charge de la preuve continue de peser sur le débiteur de l’information. Ainsi, celui qui prétend qu’une information lui était due doit prouver que l’autre partie la lui devait. Mais c’est à l’autre partie de prouver qu’elle a bien exécuté son obligation en la matière.
Le manquement à ce devoir d’information peut entrainer la mise en cause de la responsabilité extracontractuelle de son auteur, s’agissant d’une obligation précontractuelle ou l’annulation du contrat en cas de vices du consentement.
En effet, la violation de cette obligation peut entrainer une erreur sur les qualités essentielles de la prestation (appelées qualités substantielles avant la réforme) mais aussi sur celles du cocontractant (il s’agit alors d'une erreur sur la personne). Dans ces deux cas de figure, le contractant pourra invoquer la nullité du contrat mais il devra prouver que sans cette erreur il n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes et donc que l’erreur a été déterminante de son consentement. Cependant, alors que l'erreur sur les qualités essentielles de la prestation peut se rencontrer dans toutes les conventions (l'acheteur pensait acquérir un terrain constructible alors qu'il ne l'est pas, par exemple), l'erreur sur la personne n'est envisageable que dans les contrats conclus intuitu personae, c'est-à-dire les contrats conclus en considération de la personne avec laquelle il est passé.
Le dol, quant à lui, désigne toutes les tromperies provoquées par un cocontractant à son partenaire conduisant ce dernier à donner son consentement au contrat alors que sans ces manœuvres, il n’aurait pas consenti à celui-ci. Ainsi le dol provoque chez le partenaire une erreur qui le détermine à contracter. Par ailleurs, le dol suppose de la part de l’auteur des manœuvres, une volonté de nuire et constitue un vice du consentement susceptible de faire annuler la convention.
Transposition de ce principe au contrat de vente
Le contrat de vente n’échappe pas à cette obligation générale d’information. L’article 1602 du Code civil oblige le vendeur à expliquer clairement ce à quoi il est tenu. L’article énonce aussi que si l’acte de vente est ambigu, son interprétation sera faite en faveur de l’acquéreur, soit contre le vendeur. Il s’agit ici d’un texte spécial qui doit être combiné avec le principe plus général de l’article 1112-1 du même code.
Ainsi lorsqu’il s’agit d’une vente, la jurisprudence a clairement posé que le vendeur doit renseigner l’acheteur sur les caractéristiques essentielles du bien vendu et sur ses conditions d’utilisation. En matière immobilière, le vendeur doit, par ailleurs, communiquer à l’acquéreur toutes les informations utiles dont il dispose, comme par exemple l’existence de servitudes ou l’absence de raccordement de l’immeuble au réseau d’eau potable.
Le législateur et la jurisprudence ont ainsi développé un important formalisme informatif qui est encore bien méconnu, notamment en matière de vente immobilière. Il est donc probable que cette réforme incite les vendeurs à mettre en place des vendor due diligence qui sont déjà pratiquées dans les dossiers les plus importants de fusion-acquisition ou d'immobilier d’investissement.
Voir aussi dans nos études :
Les différents avants-contrats et leur portée juridique
Les vices du consentement depuis la réforme du droit des obligations du 10 février 2016
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