Conséquences fiscales liées à une cession d’actifs  immobilisés à prix minoré entre sociétés dépendant d’un groupe fiscalement intégré

Aucune personnalité juridique n’est reconnue aux groupes de sociétés en droit français et en particulier, en matière fiscale. De sorte qu’une opération économique s’apprécie toujours au regard de l’intérêt de la société qui en est partie. Ainsi, le fait que deux sociétés, parties à une opération, soient sœurs ne justifie pas en soi les avantages qu’elles s’accordent mutuellement. Il en est de même si celles-ci dépendent d’un groupe fiscalement intégré, dont le résultat d’ensemble résulte de la somme algébrique des résultats de chaque société intégrée, déterminés dans les conditions de droit commun, conformément aux dispositions de l’article 223B alinéa 1er du Code général des impôts (CGI), ainsi que le rappelle le Conseil d’État dans sa décision du 10 mars 2006, n°263183.

 

Cependant, la détermination du résultat d’ensemble, peut être affectée par la pratique de subventions directes[1] ou indirectes entre sociétés intégrées (I). C'est pourquoi, le sixième alinéa de l’article 223B du CGI vient poser des règles afin de les neutraliser, règles auxquels le Conseil d’État a apporté des aménagements dans sa décision du 10 novembre 2010, n°309148 (II). Dans cette décision, il est précisé qu’avant d’opérer cette neutralisation, il est nécessaire de procéder à la détermination du résultat individuel des sociétés cédante et cessionnaire selon les règles de droit commun, puis à celle du résultat d’ensemble en application des dispositions de l’intégration fiscale.

I. Les caractères de la subvention indirecte

On rappellera à titre liminaire, que  la cession de biens composant l'actif immobilisé, pour un prix inférieur à leur valeur réelle, constitue une subvention indirecte au sens de l’article 46 quater-0 ZG de l’annexe III au CGI. Selon la doctrine administrative[2], « la valeur réelle d'un bien peut être déterminée par comparaison avec le prix de cession qui aurait résulté d'une transaction entre sociétés indépendantes ; à cet égard, l'attention des services est appelée sur le fait qu'une cession d'élément d'actif immobilisé entre sociétés du groupe est susceptible de donner naissance à une subvention indirecte si le prix de cession du bien s'écarte de manière significative de sa valeur réelle ; cette valeur sera déterminée avec prudence en faisant appel, dans la mesure du possible, à plusieurs modes d'évaluation ».

Toutefois, pour déterminer le résultat de chacune des sociétés concernées, il faut opérer une distinction suivant que les subventions correspondent ou non à des contreparties commerciales (A), ce qui déterminera le caractère déductible de la subvention indirecte (B).

A. Notion de contrepartie commerciale

On relèvera en particulier qu’ont été reconnues comme aide commerciale intragroupe, des subventions indirectes intervenant entre deux sociétés ayant des liens commerciaux étroits se traduisant par une imbrication de leur chiffre d’affaires (CE, 26 juin 1992 n°68646). De même, une facturation de travaux au prix de revient à une société sœur a été reconnue comme une aide commerciale intragroupe, s’il est démontré la nécessité de favoriser l’activité de l’une pour permettre à l’autre de maintenir son chiffre d’affaires (CAA Nancy,  6 mars 1996, n°94NC01326).

Mais une aide financière n’est pas en soi une aide commerciale, sauf dans le cadre d’une procédure collective. A fortiori, le seul souci d’aider au développement d’une filiale dont la situation économique est saine, de même que la perspective de recevoir des dividendes d’un montant accru, ne sont pas suffisants pour justifier l’existence d’une contrepartie commerciale.

B. La déductibilité de la subvention indirecte

L'existence d'une contrepartie commerciale rend déductible la subvention indirecte (2) ; à défaut d'une telle contrepartie, la subvention indirecte sera non-déductible (2).

1.  Existence d'une contrepartie commerciale : subvention indirecte déductible

Lorsqu’il existe une contrepartie commerciale, la subvention indirecte ne fera l’objet d’aucune réintégration pour la société qui l’a accordée. La société bénéficiaire de la subvention indirecte reçoit un bien ou un service pour une valeur inférieure  au prix du marché, ce qui a pour conséquence de réduire ses charges déductibles et du même coup, contribue à augmenter le bénéfice imposable.

2. Absence de contrepartie commerciale : subvention indirecte non déductible

À défaut de contrepartie commerciale, les aides financières de toute nature ne sont pas déductibles pour l’établissement de l’impôt, en application des dispositions de l’article 39, 13. alinéa 1er du CGI, dans sa rédaction en vigueur depuis le 4 juillet 2012, sauf si l’aide est accordée dans le cadre d’une procédure collective et sous certaines conditions. Il est à noter qu’antérieurement à la réforme portant création du 13. de l’article 39, entrée en vigueur le 4 juillet 2012, les aides financières étaient déductibles, hors du cadre d’une procédure collective, dès lors qu’elles entraient dans le cadre d’une gestion normale.

Au niveau des résultats individuels, la cession d’un actif à prix minoré constitue un avantage pour la société cessionnaire, que l’administration fiscale est fondée à réintégrer dans le compte de résultats de la société cédante. De même, chez la société cessionnaire, l’avantage dont elle a bénéficié constitue un revenu distribué.

C'est justement dans ce contexte de subvention indirecte non déductible, indûment déduite, que le Conseil d'État a dû statuer le 10 novembre 2010…

II. Les apports de l'arrêt du Conseil d'État

L'arrêt du Conseil d'État vient sanctionner la pratique des subventions indirectes en posant des principes (A) avec lesquels les sociétés intégrés fiscalement doivent désormais composer (B).

A. La correction du résultat d'ensemble par la réintégration aux résultats individuels des sociétés intégrés fiscalement

Pour faciliter la compréhension de l'arrêt du Conseil d'État, nous considérerons l’exemple suivant :

A vend à B un bien immobilisé pour 40 alors que le bien en vaut 100, soit un avantage de 60. A et B dépendent du même groupe intégré. L’avantage de 60 est réintégré dans le résultat de A puisqu’il n’a pas été imposé sur la partie de la plus-value correspondant à la subvention versée à B. En effet, le Conseil d’État considère que la comptabilisation d’une plus-value pour un montant inférieur à la valeur réelle de l’actif cédé s’assimile à une subvention déduite du résultat fiscal de l’entreprise cédante. De même, cette subvention dont a bénéficié B constitue pour elle un revenu distribué qui doit être réintégré dans ses résultats, à hauteur de 60. On fera observer qu’en procédant ainsi, B ne pourra amortir que sur 40 et non 100, ce qui contribue à faire perdre une économie d’IS de 20 (1/3 de 60), d’autant que la réévaluation de l’actif isolé n’est pas possible compte tenu des principes comptables actuellement en vigueur.

En application, des dispositions de l’article 223 B  alinéa 6 du CGI, les aides consenties entre les sociétés d’un même groupe intégré, ne sont pas prises en compte pour la détermination du résultat d’ensemble. Cela a pour conséquence de corriger le résultat d’ensemble :

- par la réintégration des sommes comprises dans les charges déductibles de la société qui a consenti l’abandon ou la subvention

- par la déduction des sommes incluses dans les profits de la société qui a bénéficié des avantages.

Par contre, en présence d’une subvention indirecte, si l’avantage doit être réintégré dans le résultat de chacune des sociétés cédante et bénéficiaire, seuls le profit réintégré dans le résultat de la société bénéficiaire doit être déduit du résultat d’ensemble et la plus-value constatée et déclarée dans les livres de la société cédante, neutralisée en vertu de l’article 223 F du CGI et ce, par application des dispositions de l’article 223 B alinéa 6e du CGI, selon les dispositions de la décision du Conseil d’Etat du 10 novembre 2010 précitée.

Mais aucune correction ne doit être apportée au résultat d’ensemble à raison de la réintégration effectuée dans le résultat de la société cédante qui a contribué à neutraliser la subvention déduite à tort dans ses livres ; ce qui entraîne du même coup, une hausse du résultat d’ensemble à due concurrence de l’avantage réintégré.

Chez le cédant, le Conseil d’Etat a considéré que l’avantage de 60 avait déjà été neutralisé par sa réintégration dans ses propres résultats, de sorte qu’il ne doit pas être fait application d’un retraitement dans les conditions prévues à l’article 223 B alinéa 6 du CGI, dans le résultat d’ensemble. Chez le cessionnaire, il est fait application de la neutralisation prévue au 6e alinéa de l’article 223 B du CGI, de sorte que la subvention de 60 doit être déduite du résultat d’ensemble. Il en ressort donc un supplément de 60 dans le résultat d’ensemble.

En définitive, le Conseil d’Etat considère qu’il n’est pas normal que l’intégration fiscale permette de suspendre pendant sa durée, les conséquences fiscales liées à une cession d’immobilisations consentie pour un prix minoré, en évitant ainsi de pouvoir localiser librement les bénéfices au sein des sociétés du groupe.

B. Cas pratique  appliquant les principes rappelés ci-dessus

Soit une société A (mère) et une société B (fille) faisant partie d'un groupe de sociétés fiscalement intégrées.

La société A gère un parc de matériels industriels qu'elle acquiert à travers des contrats de crédit-bail mobilier. Elle les met à disposition de la société B en vertu de contrats de location. La société B exploite ces matériels auprès de clients et leur consent un contrat de maintenance et d’entretien.

Compte tenu du régime propre au crédit-bail mobilier, la société A achète ces matériels pour leur valeur résiduelle au terme du contrat. Elle peut être amenée à les vendre à la société B pour leur remise en conditionnement. Ces matériels conservent une valeur de marché substantielle au terme du contrat de location financière mais sont à reconditionner compte tenu de leur utilisation.

Pour quelle valeur, la société A doit-elle revendre ces matériels à la société B ?

En application des principes rappelés ci-dessus, le prix de cession des matériels :

- peut être fixé à une valeur inférieure à la valeur vénale dès lors qu’il existe une contrepartie commerciale entre les sociétés A et B, compte tenu notamment de l’imbrication de leur chiffre d’affaires. Il sera donc important de documenter cette contrepartie commerciale pour éviter tout risque de redressement fiscal ;

- doit être fixé à la valeur vénale, faute de contrepartie commerciale entre les sociétés A et B. Dans ce cas, il sera également nécessaire de documenter le prix de cession en justifiant de la valeur retenue en précisant sur la facture de vente : « matériel en l’état à reconditionner par le cessionnaire » et en complétant la valeur retenue par une ou plusieurs expertises de sociétés commercialisant des matériels industriels d’occasion.

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[1] Selon la doctrine administrative, les subventions directes correspondent aux sommes effectivement versées sans contrepartie par une société à une autre société (BOI-IS-GPE-20-20-40-10-20120912, § 10).

[2] BOI-IS-GPE-20-20-40-10-20120912, § 50.

Conséquences fiscales d'une cession d'actifs immobilisés