Droit décrypté

Changement de forme juridique d'une société et abus de droit

Changement de forme juridique d'une société et abus de droit
Cet article présente à travers un cas de jurisprudence, une optimisation fiscale qui avait amené les intéressés à modifier la nature juridique d'une entreprise (de société anonyme en société en nom collectif), ce qui avait eu pour conséquence de faire remonter les bénéfices réalisés par la SNC vers sa mère soumise à l'impôt sur les sociétés, afin de permettre l'imputation de ses déficits. La jurisprudence admet une telle modification tout en validant les avantages fiscaux sous réserve qu'aucun abus de droit ne soit caractérisé. Le premier apport de cet article sera donc de présenter la notion d'abus de droit et son champ d'application en droit fiscal. Le second apport permettra de délimiter l'optimisation fiscale de l'abus de droit car si la première est validée par l'administration fiscale, le second ne l'est pas.
En septembre 1997, le groupe Casino a acheté 100% du capital d'une société holding. Cette dernière est une société mère d'un groupe d'enseignes commerciales fiscalement intégrées comprenant notamment les sociétés exploitant les magasins exploités sous les enseignes Franprix et Leader Price. La Holding a été intégrée au groupe Casino sous la dénomination Asinco. Les filiales d'Asinco non intégrées ont été réorganisées puis apportées à deux sous-holging, Franprix Holding et Leader Price Holding, créées le 30 juin 1998 détenues chacune à 70% par la société Asinco et à 30% par une autre filiale de la société Asinco, la Société Sibel.
Une autre filiale de la société Asinco, la société SA Distribution Leader Price qui était chargée de l'approvisionnement des produits discount des magasins Franprix et Leader Price est devenue (lors de la réorganisation) le 30 juin 1998 une société en nom collectif.
L'avantage de cette modification de nature juridique de la société Distribution Leader Price de société anonyme vers une société en nom collectif était de relever du régime d'imposition de l'article 8 du Code Général des Impôts pour faire remonter l'imposition des résultats de la SNC directement dans ceux de la SA par le jeu de la translucidité fiscale.
Le 30 juin 1999, la SNC Distribution Leader Price a été apportée à la holding Asinco avec une prise d'effet différé : à compter du 1er janvier 1999.
La transformation en société de personnes puis l'apport des titres de manière différée avec effet rétroactif, s'expliquent par le fait que la hoding Asinco disposait de déficits reportables constitués au cours des exercices 1995 et 1997. Or la société Distribution Leader Price avait réalisé un important bénéfice pendant le second semestre 1998 dont 17 millions d'euros correspondait à la quote-part revenant à la holding (à concurrence de sa quote part de capital social). La transformation de la filiale en SNC a permis à la holding d'imputer la totalité de ses déficits reportables sur la quote-part de bénéfice provenant de la filiale. Aucun impôt n'était alors dû car le régime de la translucidité a pour conséquence fiscale de déterminer le résultat au niveau de la société mais de l'imposer entre les mains de ses associés, dont la société Asinco.
A l'issue de cette réorganisation, l'administration fiscale française a opéré une vérification de comptabilité sur les exercices clos en 1998 et 1999. Elle a remis en cause la répartition du résultat réalisé par la SNC Distribution Leader Price. Selon l'administration, la transformation d'une société anonyme en société en nom collectif constitue une opération poursuivant un but exclusivement fiscal qui consiste à opérer une compensation entre les résultats de la SNC et les déficits de la holding Asinco. L'administration a, conformément à l'application de l'article L 64 du Livre des Procédures Fiscales, considéré que la transformation de SA en SNC ne lui était pas opposable car constitutive d'un abus de droit.
La holding Asinco a saisi les juges du fond en vue de demander l'annulation de la décision de l'administration fiscale et la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés afin de faire annuler la décision de l'administration fiscale.
Les juges du fond ont confirmé la décision de l'administration fiscale. En effet, ils ont admis que la transformation de société était constitutive d'un abus de droit car l'affaire en cause entrait bien dans le champ d'application de l'article L 64 du LPF c'est-à-dire que "ne peuvent être opposées à l'administration des impôts, les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clause (